La présente analyse est inspirée de la norme OSI (Open System Interconnection). Conçue au milieu des années 1980 pour standardiser l'architecture des communications entre systèmes hétérogènes, en la structurant en sept couches, cette approche est en réalité d'une plus grande portée. Il faut bien comprendre qu'il s'agit de couches logiques, non de phases temporelles. Comme dans un oignon, chaque couche ne discute avec chacune de ses deux voisines qu'au travers d'une interface où s'échangent des données en nombre limité. Les modalités du travail interne d'une couche restent inconnues de ses voisines - là est le principal intérêt de l'approche qui permet, par exemple, de bien spécifier des outils spécifiques ou de remplacer facilement une couche. Quoique chaque couche ait besoin d'éléments fournis par une voisine pour travailler, leur travaux peuvent s'effectuer plus ou moins simultanément et par des moyens indépendants.
La présente page propose une transposition de cette norme à la description de l'activité du photographe. Le modèle résultant conduit à une compréhension plus fine que les concepts traditionnels de développement, tirage et postproduction et, surtout, à une vision qui ne confond pas les buts et les moyens des actions. Sans prendre en compte la préparation de la séance photographique, le processus de production photographique repose sur les éléments logiques suivants.
La première couche rassemble les composants physiques nécessaires à l'élaboration de l'image. Dans les cas simples, il s'agit principalement de l'appareil photographique, des pieds et des yeux du photographe, ainsi que du petit bout de son cerveau qui s'occupe de la perception. Cette couche ne fournit à la suivante qu'un état mémoire, engendré par l'action sur le déclencheur, stockant le résultat de l'interaction de la lumière avec le capteur sensible et les données acquises par le micrologiciel de l'appareil (en argentique, ce sont des produits chimiques exposés sur un film et des griffonnages sur du papier).
Cette couche transcrit les signaux physiques en informations lisibles : par exemple, codage RVB, heure et lieu de prises de vue, enregistrées par l'appareil ou notées à la main sur un petit carnet à spirale (en argentique, ce peut être le développement du négatif et la mise au propre du bloc-notes). Cette couche fournit à la troisième les images enregistrées et les informations sur les conditions de prise de vue (métadonnées).
Si les deux premières couches sont gérées par le matériel ou en liaison directe avec lui pour faire l'acquisition des données, la présente couche de tri est celle de plus bas niveau de l'exploitation de ces données par le photographe. Elle effectue une première évaluation et sélection de bas niveau, par l'examen des prises sur l'écran de l'appareil (ou du négatif, ciseaux en main). Après élimination des vues non satisfaisantes, cette couche met à disposition de la suivante le stock des images retenues, avec leurs métadonnées.
La couche 4 assure un changement de support. Elle est beaucoup plus "épaisse" en numérique qu'en argentique. En effet, en argentique, elle peut se réduire au tirage et au marquage d'une planche contact. En numérique, cette couche assure d'abord la copie du fichier image de l'appareil vers un ordinateur, soit en format standard (jpeg, le plus souvent), soit sous forme brute (c'est ce que signifie le mot anglais raw qui, à proprement parler, ne désigne pas un format). Dans ce second cas, elle exécute l'extraction du fichier brut et la vérification que le fichier image résultant est exploitable. Cependant, cette extraction peut se faire avec de nombreuses combinaisons de paramètres : par exemple, en récupérant ou non la balance des blancs de l'appareil, en effectuant une réduction de bruit plus ou moins prononcée, en appliquant divers traitements de récupération des informations dans les zones claires, etc. La couche 4 peut donc incorporer des itérations multiples avec des corrections de paramètres, jusqu'à arriver à une image constituant une base satisfaisante pour la suite. Évidemment, certaines images peuvent être éliminées par cette couche qui transmet donc à la suivante une sélection d'images intéressantes, avec leur métadonnées éventuellement enrichies.
A partir de ces images, la couche 5 applique un retraitement, c'est-à-dire une succession de transformations comme, par exemple, des modifications de couleurs voire une transformation en noir et blanc, un durcissement ou un adoucissement des valeurs, un recadrage, des retouches plus ou moins ponctuelles, des transformations géométriques, etc. Cette couche prend également en considération les liens qui existent ou peuvent être suggérés entre photos par titrage ou regroupement en séries. Évidemment, une élimination peut aussi se produire dans cette couche. Cette couche délivre donc des photos ou des séries auxquelles le photographe donne un sens, c'est-à-dire qu'elle fournit en fait une interprétation. Concrètement, il s'agit aujourd'hui, le plus souvent, d'une collection de fichiers informatiques contenant le codage des images retraitées, les métadonnées, titres et commentaires associés. En argentique, la sortie de cette couche peut être une collection de contretypes ou d'épreuves assorties de notes...
La couche 6 est celle du choix et de la réalisation de la présentation : tirage de qualité placé sous cadre ou collé sur métal, diaporama sur écran, inclusion dans un livre... Souvent, elle comporte la rédaction de légendes pour les photos et d'un texte d'accompagnement, voire la réalisation d'une bande-son. Cette couche de mise en forme définitive délivre donc un ensemble audiovisuel cohérent d'images et de commentaires mis en forme, sur des supports qui peuvent être montrés.
Enfin, la septième et dernière couche est celle qui fait sortir les photos du giron du photographe. Il s'agit d'une action dont l'objectif est de montrer les images à un public, comme l'organisation d'une exposition ou l'édition d'un livre... Son interface externe n'est pas en relation avec une autre couche mais avec le public. Elle produit un ensemble diffusé à son intention. C'est donc la couche qui applique le travail effectué pour atteindre l'objectif du processus, en créant la rencontre avec les regards extérieurs.
La figure suivante récapitule les briques logiques du processus.
Les deux premiers couches constituent l'acquisition, c'est-à-dire la collecte des photos avec les informations descriptives de la prise de vue. Les cinq dernières décrivent finement l'exploitation des clichés par le photographe incluant la postproduction et les opérations ultérieures aboutissant à la diffusion des images.
Dans un contexte argentique, le développement est principalement un composant technique de la couche 2 car c'est le moyen de transcrire les produits chimiques exposés en données visuelles. Le tirage est une autre opération technique qui en fait peut intervenir plusieurs fois dans le processus : tirage d'une planche contact dans la couche 4, tirages d'épreuves dans la couche 5, tirage d'originaux dans la couche 6, ... On est parfois tenté d'appliquer ces termes à la pratique numérique mais le développement serait alors une opération de microélectronique effectuée par l'appareil et à laquelle le photographe n'a guère accès et le tirage une opération mal définie regroupant des actions de postproduction et l'impression. En fait, ce vocabulaire n'a pas une fonction conceptuelle car il désigne des moyens techniques d'exécution spécifiques à la technologie argentique ; une tentative de l'adapter à une technologie essentiellement différente n'avance à rien et ne peut que créer de la confusion.
La description par couches logiques fournit une bien meilleure conception de la production photographique, valable aussi bien pour le numérique que pour l'argentique.
© Sellig Zed, octobre 2014.